Les ministres de l’agriculture et de l’environnement envisagent de classer le frelon asiatique en "espèce exotique envahissante et nuisible à l’apiculture". S’agit-il d’une bonne nouvelle ? Rien n’est moins sûr !
Le communiqué est disponible sur le site du ministère de l’agriculture. Il prévoit notamment : "Le classement comme espèce exotique envahissante est soumis à la consultation du public à compter du 11 octobre, et pour une durée de quinze jours". Voici donc quelques éléments de réflexions en guise de réponse à cette consultation.
Que le frelon asiatique soit une espèce exotique envahissante ne fait pas de doute. Certes nous nous passerions volontiers des services de ce péril à pattes jaunes arrivé en France en 2004 au nombre des bienfaits du commerce mondialisé.
Que ce soit une espèce nuisible à l’apiculture est certain. Les dégâts causés sur les colonies d’abeilles domestiques sont incontestables. Ce frelon se nourrit essentiellement d’abeilles qu’il attrape au sortir de la ruche. Lorsqu’il se positionne en face des planches d’envol, le frelon met la colonie en état de stress et les butineuses ne sortent quasiment plus. Au point qu’elles ne rentrent plus de nourriture et que la ruche s’affaiblit par chômage avant de s’affaiblir par le nombre de proies prélevées.
Revenons au texte du communiqué ministériel qui nous dit : "Le classement d’une espèce comme espèce exotique envahissante et comme danger sanitaire permet l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de lutte obligatoire au niveau national et départemental". La question est donc de savoir quel seront ces programmes de lutte.
Avant de rentrer dans le débat, ceux qui souhaitent en savoir davantage sur le frelon asiatique (Vespa velutina), peuvent aller sur wikipedia qui s’avère fort bien renseigné. Et précisons également que le Vespa velutina est fortement nuisible à l’apiculture et à elle seule : il n’est pas particulièrement dangereux pour l’homme, pas davantage que son cousin européen Vespa crabo.
L’une des grandes difficultés de la lutte provient de la localisation des nids dans la frondaison des arbres. Pratiquement, on ne les voit qu’à l’automne après qu’ils aient pleinement joué leur rôle de pouponnière et alors qu’ils sont vides. Il faut donc s’attaquer aux individus dispersés hors du nid là la recherche de nourriture.
On sait qu’un piégeage classique avec des appâts non spécifiques n’est pas recommandable pour de nombreuse raisons. La première est qu’on piège d’autres espèces d’insectes qui n’ont rien demandé alors qu’il serait probablement utile de les protéger. La seconde est que, le frelon étant envahissant, il est probablement sous-représenté par rapport à l’équilibre potentiel. Ainsi en piégeant du même coup les espèces concurrentes comme le frelon européen (Vespa crabo), on risque fort de réduire la concurrence et de favoriser l’espèce encore sous représentée (Vespa velutina). En d’autres termes, le piège à bière appliqué sur l’ensemble du territoire est à proscrire sauf à vouloir dérouler un tapis rouge à notre ami asiatique.
Pour mémoire, les apiculteurs asiatiques qui vivent avec Vespa velutina depuis des siècles utilisent une méthode d’élimination physique : la tapette à mouches. Cette méthode peu réaliste dans nos contrées présente quelques avantages : (i) elle est bien spécifique et n’a pas d’effet sur l’entomofaune, et (ii) elle réduit le bénéfice pour le prédateur de la rencontre avec la proie, bénéfice qui est un facteur essentiel du bon développement de la proie dans les modèles de dynamique des populations.
L’appât régulateur mentionné sur wikipedia est la voie la plus prometteuse ; pour autant qu’elle soit effectivement spécifique de Vespa velutina.
Notons également que le programme de lutte devra prévoir une action continue et de long terme car interrompre une telle action risque de produire des explosions des populations de prédateurs en cas de relâchement de la lutte. Gardons en mémoire que probablement seules quatre ou cinq fondatrices importées en France ont suffit à produire l’invasion de la moitié de la France en quelques années.
Enfin, il serait bon de s’assurer que les zones qui bénéficient de barrières naturelles soient protégées par des mesures de contrôle des échanges susceptibles de véhiculer ce terrible prédateur. Si le frelon asiatique est arrivé en France avec des produits végétaux (probablement dans la terre de plantes empotées), il serait bon d’éviter ce genre de commerce avec la Corse et les autres îles encore préservées.
Etablir un programme de lutte obligatoire et national est fort complexe. Gageons que les autorités responsables de l’élaboration de ce programme sauront prendre en compte toute la complexité écologique d’un tel défi. Et si on rêvait un peu alors on voudrait voir un modèle proie / prédateur de dynamique des populations utilisé pour (i) le suivi local des populations des zones déjà envahies, (ii) la prévision de l’invasion et (iii) le pilotage de la lutte raisonnée.